Si la politique de Trump peut sembler difficile à appréhender, entre provocations apparentes et revirements successifs, c'est en partie parce qu'on néglige à quel point elle est structurée par un certain imaginaire délétère de l'IA. Décryptage.
Peut-être l’a-t-on déjà oublié ? À l'occasion de son investiture, Donald Trump déclarait : « il n’y a que deux sexes, masculin et féminin », et signait un executive order pour « restaurer la vérité biologique au sein du gouvernement fédéral ». Depuis, les États-Unis, au plan fédéral, ne reconnaissent désormais que ces deux réalités. Croire que cette décision relève exclusivement de l’expression du pire conservatisme revient à méconnaître un phénomène structurel qui traverse les États-Unis : aussi surprenant que cela paraisse, elle est aussi un effet de la représentation du monde qu’imposent les versions dominantes des algorithmes et de l’intelligence artificielle.
Historiquement, le mode de production dominant a toujours imprimé sa marque sur le reste de la société et ses représentations. A l’ère industrielle, la chaîne de montage n’est pas restée cantonnée à l’usine. Elle l’a débordée et a modelé toute la société à son image : c’est l’école standardisée et massifiée, c’est l’État en grande machine linéaire et silotée, c’est le service militaire censé uniformiser, etc. Or, avec le numérique, nous vivons l'avènement d’un autre mode de production hégémonique. En s’imposant, il ne manque pas de fabriquer ses propres formes politiques. Les États-Unis de Trump / Musk en sont le laboratoire.
Cette traduction du processus productif dominant dans des formes politiques prend avant tout les traits du gouvernement algorithmique, c’est-à-dire l’idée que, à l’ère de l’IA, les algorithmes peuvent faire de meilleurs choix que nous. Ce fut flagrant dans le projet du DOGE d’Elon Musk qui entendait prendre le pouvoir par les SI et les data pour calculer et décider. Tout cela fut brouillon, souvent invalidé par la justice, mais nous avons été les témoins d’un début de synchronisation entre le processus productif numérique dominant et le mode de gouvernement post ère industrielle. En ce sens, ce qui se passe est structurel et pas seulement le fait de personnalités pathologiques. Trump n’est pas une sortie de route. Sous nos yeux, l’appareil étatique états-unien se réaligne conceptuellement sur le système productif dominant de l’ère numérique.
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